Voilà presque un an que Jean-François me parle du Trail Verbier St-Bernard, une course, d’après lui, très exigeante qu’il faut absolument avoir fait. Je me suis laissé convaincre en décembre de l’année dernière et me suis inscrit avec lui. Du coup nous avons bénéficié d’une inscription prioritaire pour l’OCC. Ça sera donc nos challenges de l’été : 61 km et 4100 m D+ dans le Valais et 55 km et 3500 m D+ autour de Chamonix fin août. Avec une demi-saison pauvre en compétition, il est plus sage de se lancer sur des petites distances pour le reste de l’année. Il faudra attendre 2017 pour revenir vers l’ultra.
Pour l’heure c’est un super week-end entre copains qui nous attend. Nous partons d’Aix vendredi à 10 h. Nous ferons notre pause déjeuner dans une auberge au bord du lac d’Aiguebelette près de Chambéry. Je taquine Jeff qui ingurgite goulûment son lot de toxines, à savoir un tartare de bœuf au couteau. « Ça pourrait être drôle une intoxication alimentaire la veille d’une course », lui dis-je. Après un obligatoire dessert sucré nous reprenons la route. La présence des montagnes nous fait quitter notre discussion sur le travail pour parler enfin vélo et trail running. Nous avons un peu l’impression de partir en vacances, l’ambiance est à la rigolade. La route passe très vite et nous arrivons à Chamonix. C’est toujours avec beaucoup de plaisir que je traverse la ville, impatient d’être à fin août pour vivre à nouveau le grand barnum de l’UTMB. Argentière, Vallorcine, Trient et Martigny, une superbe route qui accueillera partiellement la 17ème étape du Tour de France 2016.
Nous arrivons à Verbier en fin d’après-midi. Nous pressons le pas pour récupérer nos dossards. Je suis surpris et impressionné par le monde. Je m’attendais à une course un peu anonyme mais c’est tout le contraire. L’organisation est digne de celle de l’UTMB et huilée comme de l’horlogerie suisse. Le contrôle des sacs et la remise du dossard prendront moins de 2 minutes. Ensuite nous passons quelques minutes à flâner sur les stands du salon. Ici en Suisse c’est Compressport qui règne en maître et qui habille de la tête aux pieds les coureurs locaux. Nous reprenons la voiture sans tarder car nous avons encore 1h45 de route pour rejoindre Divonne-les-Bains, le lieu où nous passerons la nuit.
Je pratique pour la première fois de ma vie les autoroutes suisses et je peste un peu… La limitation de vitesse à 120 km/h donne l’impression de nous traîner, sans compter les interminables changements de limitation de vitesse qui nous font descendre à 80 km/h. Quel intérêt d’avoir des autoroutes pour se traîner de la sorte ? D’autant que j’ai l’impression que nous sommes les seuls à les respecter… Mon image de l’helvète qui applique scrupuleusement les règles en prend un coup. Après quelques bouchons à la hauteur de Lausanne nous repassons enfin la frontière et entrons dans Divonne. Nous passerons la soirée chez des amis de Jeff. Le menu du soir sera cette fois plus diététique que le midi avec des brochettes de poulets, hormis le (petit) verre de vieux rhum en guise de digestif. Une très agréable soirée qui ne s’éternisera pas car la route nous aura bien fatigué.
Nous quittons Divonne-les-Bains vers 7h15 et arrivons à La Fouly, lieu du départ, un peu avant 9h. Le long de la route je reconnais des portions de la CCC que j’avais réalisé en 2012. D’agréables souvenirs me reviennent en mémoire mais aussi un peu de stress… Je réalise que le départ de la course approche. Nous finissons de préparer nos affaires sur le parking et nous nous rendons sur l’aire de départ toute proche. La foule est impressionnante, j’ai l’impression d’être de retour en 2013 et en 2014 à Courmayeur sur le départ de la TDS ! Musique tonitruante, cloches de vache, montgolfière, hélicoptère, public hystérique, tous les ingrédients sont réunis pour faire monter la pression et rendre le départ digne des plus grandes compétitions internationales. C’est énorme ! Les suisses ne font décidément pas les choses à moitié.
Quelques minutes avant le départ Ludovic Collet à la lourde tâche de nous faire hérisser les poils et il le fait très bien ! Ludovic Collet c’est LA voix du Trail. C’est lui qui anime le départ et l’arrivée des courses de l’UTMB. Ludovic est au trail ce que Marvin Gaye est à la Soul Music, c’est à dire la référence ! Une voix chaude et enthousiaste qui nous assure de passer des moments inoubliables. C’est la voix qui nous encourage et rassure les premiers kilomètres lorsque nous filons vers l’inconnu et nous accueille tel un membre de sa famille à l’arrivée. Les 650 coureurs présents semblent particulièrement sensibles au show qu’il nous offre au départ. Le décompte est lancé, c’est parti !
La course commence sur trois kilomètres de bitume en direction des Monts Telliers. Avec Jeff nous remontons le peloton sans forcer pour nous positionner dans le premier tiers. Tous le long de la route les locaux sont présents pour nous encourager, c’est génial ! Mes chaussures La Sportiva Ultra Raptor qui inaugurent aujourd’hui leur première compétition ont hâte d’atteindre les sentiers. Depuis plus d’un an j’ai laissé de côté Salomon, trop cher mais surtout trop fragile pour tester d’autres marques et j’avoue avoir fait une belle découverte avec La Sportiva, un équipementier que je connaissais bien à l’époque où j’étais grimpeur. Ce sont les chaussures idéales pour les longs parcours accidentés en montagne quoique qu’un peu lourdes. Bref, ce n’est pas sur le bitume qu’elles s’expriment le mieux et ça tombe bien car nous le quittons pour rejoindre un large chemin. Un kilomètre plus loin le chemin devient single et prend du dénivelé. La montée jusqu’au col Fenêtre (2712 m) commence ! Après quelques lacets un panneau nous indique la présence d’un photographe. C’est Cyril Bussat de Photossports qui a la difficile mission de nous mettre en valeur. A ce niveau de la course tout va bien, nous sommes encore frais, nous sommes encore beaux. Cyril a toujours un petit mot sympa pour les coureurs. C’est avec le même enthousiasme que j’échange avec lui quelques mots sans m’arrêter au risque de stopper la longue cohorte de coureurs qui me suivent.
Malgré la densité de coureurs la montée au col se fait dans le silence. Chacun est dans sa bulle. Je monte à un bon rythme et m’aperçois quelques lacets plus loin que Jeff est distancé. Il me rattrape plus loin au niveau des lacs de Fenêtre. L’endroit est superbe et encore bien enneigé. J’en profite pour sortir mon téléphone et prendre quelques photos. L’ascension continue en alternant marche sur névé, sur roche et sur pierres. Malgré l’altitude raisonnable on a vraiment l’impression d’être déjà en haute montagne. Tous les signaux sont au vert et je suis vraiment heureux de vivre ce moment de bonheur simple. Quelques lacets plus haut nous voilà au premier point de passage.
Nous enchaînons avec une brève incursion en Italie et deux kilomètres de descente jusqu’au col du Grand-Saint-Bernard. Le lieu est, là aussi, magnifique et minéral à souhait. Un second point de passage est localisé le long de l’hospice, près du lac du Grand-Saint-Bernard. La présence d’une route de montagne à fait venir la foule. Supporters et vacanciers encouragent les coureurs dans toutes les langues. Le chemin reprend ensuite de l’altitude pour nous conduire jusqu’au Col des Chevaux (2714 m), le point culminant de la course. Je suis de nouveau subjugué par la beauté des lieux. Les montagnes semblent se répéter à l’infini. La neige et la pierre sont les seules matières qui nous entourent. C’est étrange de traverser des névés alors qu’il y a à peine quelques heures nous crevions de chaud à Aix sous plus de 30°C. Je n’échangerais cet instant pour rien au monde ! J’inspire une grosse bouffée d’air comme pour emporter avec moi cet endroit magique puis nous attaquons de nouveau une longue descente.
La prochaine étape est Bourg-Saint-Pierre à une dizaine de kilomètres et près de 1000 mètres plus bas. Au fil de la descente nous passons du blanc de la neige et du gris de la pierre au vert des alpages. La température augmente rapidement… Nous prenons soin avec Jeff de mouiller notre casquette à chaque torrent. Malgré tout la chaleur commence à nous assommer. Nous approchons les 4 heures de course et je n’ai pas vu le temps passer. Pour l’instant tout va bien mais je redoute la chaleur qui risque de faire des dégâts à la prochaine montée. Mais nous n’en sommes pas encore là… A l’approche du lac des Toules et de son impressionnant barrage le parcours devient plus roulant. Cette longue section que Jeff trouve monotone ne m’a pas dérangé, je l’ai même trouvé jolie. Près du lac un membre de l’organisation nous filme avec un drone, un troupeau de chevaux nous regardent passer sans réaction, les reflets du soleil dans le lac illuminent les lieux, une source cachée à côté d’un chalet isolé permet de nous rafraîchir de nouveau… De magnifiques moments éternellement gravées.
Après un bref mais appréciable passage en forêt nous arrivons au ravitaillement de Bourg-Saint-Pierre. L’entrée du village est matérialisée par un petit pont qui surplombe un canyon abrupt au fond duquel coule un torrent tumultueux. C’est magnifique mais nous n’avons pas le temps de prendre des photos. Le ravito est situé à l’opposé du village, notre foulée s’accélère en fonction des encouragements du public qui grossit à l’approche de la base de vie. Au ravitaillement de nombreux coureurs sont à l’arrêt, j’en suis même étonné. On croirait être au Cormet de Roselend sur la TDS ou à Courmayeur sur l’UTMB… Pourtant nous sommes qu’à 30 kilomètres de course. Pourquoi pas non plus des lits de camp pour piquer une sieste ? J’ai compris bien après… Pour l’heure je remplis mes gourdes, Jeff se gave de quartiers d’orange. Le temps de raconter deux ou trois plaisanteries et nous reprenons notre route.
Nous retrouvons rapidement le calme et la raideur des montées. Un gros morceau nous attend jusqu’à la prochaine étape, à savoir le col de Mille situé 1116 mètres plus haut. Il fait très chaud et la courte portion plate à la sortie du village nous paraît déjà difficile. Je profite d’une allure plus calme et d’un relief sans aspérité pour lever la tête et admirer le paysage. Ce coin du monde est particulièrement joli, il ne manque qu’Heidi sortant des bois en courant pour finaliser ce décor de carte postale. Heidi court tout le temps mais pas nous… On en bave même, surtout moi. Je commence à me sentir bizarre avec la désagréable sensation d’avoir du mal à avancer, comme dans ces cauchemars d’enfant où vous n’arrivez pas à courir alors qu’un monstre vous poursuit. Jeff me raconte que c’est ici même que l’an dernier son ami Jérôme a abandonné. Est-ce que ce lieu est maudit et qu’il punit ici même les traileurs présomptueux ? Que c’est dur ! Pourtant la pente n’est pas si raide… Qu’est-ce qui m’arrive ?
Un peu plus loin je suis obligé de m’arrêter et de m’asseoir sur une pile de bûches recouverte d’une bâche en plastique. Je partage avec Jeff mon banc improvisé qui vaut à cet instant tous les canapés de la terre. Il veut me faire goûter son immonde barre salée/sucrée faite maison. Je décline sans cacher mon écœurement. Sa barre à au moins le mérite de nous faire marrer. Même si je suis visiblement dans le dur j’ai encore la tête à rire. Assis sur notre misérable trône, on regarde passer les coureurs avec pour chacun un commentaire parfois sympathique, parfois moqueur. Le partage pas franchement malin mais particulièrement drôle de deux potes content d’être ensemble, tout simplement. Après ce beau moment d’amitié nous reprenons notre route. Très vite Jeff reprend la tête.
La montée jusqu’au col est un calvaire. Même en forçant comme un sourd sur mes bâtons j’ai l’impression d’avoir les pieds collés au sol, pourtant je n’ai aucune douleur mais une sorte d’immense fatigue. Ma vue se trouble par moment… Je connais cet état et il n’est pas rassurant… Je transpire énormément et quelques centaines de mètres plus loin, j´ai presque froid, puis à nouveau très chaud. Je mouille ma casquette dès que le chemin croise un torrent mais ça me rafraîchit à peine. Jeff s’éloigne de plus en plus et pas moyen de le rattraper. Je suis de plus en plus mal, probablement déshydraté alors que je n’arrête pas de boire au point d’être écœuré. De toute façon c’est trop tard… Je n’ai plus qu’à souffrir et attendre que ça passe.
Le ravitaillement situé au col devient visible. Il est encore loin mais se trouve quasiment au même niveau que le superbe chemin en balcon que nous empruntons depuis un petit moment. Même sur le plat c’est compliqué de courir mais je me force comme pour conjurer le sort. Je finis par rejoindre Jeff et c’est ensemble que nous passons la barre de comptage du ravitaillement. Je me force à boire même si c’est dur et me force à manger même si c’est devenu quasiment impossible… Jeff, lui, a l’air en grande forme et se jette, comme d’habitude, sur les quartiers d’orange en n’oubliant pas de faire marrer les bénévoles. C’est sa manière de montrer sa reconnaissance il faut croire. Nous sommes à 7 heures de course et avons parcouru seulement 40 km… On n’avance vraiment pas ou alors cette course est vraiment hors norme, je ne sais pas quoi penser.
Nous repartons, nous avons au programme 12 kilomètres de descente et allons perdre 1415 mètres de dénivelé. Jeff souffre de douleurs aux genoux durant cette longue descente très variées : technique et pierreuse sur le haut, herbeuse et bordée de torrents ensuite puis à nouveau raide au cœur d’une très belle forêt de sapins. Je ne sais pas si j’ai retrouvé de l’énergie mais en tout cas j’avance nettement mieux en descente. Cela dit je n’ai aucun mérite car il suffit de se laisser aller. A l’approche de Lourtier nous retrouvons un large Sentier puis, un peu plus bas, à nouveau le bitume. À 18h30 il fait encore très chaud. Heureusement de nombreuses fontaines parsèment le parcours et il faut presque faire la queue pour se rafraîchir. Nous dépassons les premiers chalets, l’avant dernier ravitaillement est tout proche au fond de la vallée. Mais cette descente nous paraît interminable. Avec Jeff on accélère l’allure se payant même le luxe de dépasser quelques coureurs. Nous entrons enfin dans Lourtier, la foule est toujours aussi massive et bruyante, ça nous fait vraiment plaisir d’autant que j’étais loin d’imaginer les valaisans aussi enthousiastes envers les traileurs.
Nous prenons une pause un peu longue que les autres car la dernière montée qui nous attend est, paraît-il, redoutable. À partir de maintenant c’est l’inconnu pour Jeff car il s’est arrêté ici lors de l’édition précédente. Les bénévoles du ravitaillement surenchérissent sur la difficulté de la section suivante. Nous verrons bien… Pour l’instant je tente de m’alimenter et de m’hydrater même si tout ce qui passe dans ma bouche m’écœure inévitablement. Ça promet… L’ambiance est toujours aussi chaleureuse, les bénévoles toujours autant aux petits soins. L’organisation de cet événement est simplement parfaite ! Nous avons du mal à quitter tous ces rires et ces beaux sourires (surtout ceux des valaisannes) mais la fin de l’aventure est à Verbier et nous allons devoir encore souffrir un peu pour avoir le privilège d’y arriver. À peine sorti du ravitaillement notre petite route en bitume prend subitement plus de 20%… Les hostilités commencent !
Nous quittons la route pour prendre un single bordé d’arbres qui grimpe droit dans la pente. Une pente raide et rectiligne comme la piste d’élan d’un tremplin de saut à ski. Dès les premiers mètres je sens que je vais franchement souffrir. J’avertis Jeff qui semble ne pas m’avoir entendu car très vite je suis distancé, de quelques mètres au départ puis d’une dizaine de mètres quelques minutes plus tard. Le premier du 110 km du Trail du Verbier me dépasse avec peine. Il semble être également dans le dur. Malgré tout il me distance lui aussi très rapidement, puis disparaît dès les premiers lacets. Je me sens de plus en plus mal. J’ai les pieds collés au sol. Comme lors de précédente montée je n’ai aucune douleur aux cuisses mais la très désagréable sensation que je vais tourner de l’œil. Le phénomène s’amplifie au fur et à mesure que je grimpe. L’apparition de voiles noirs devant les yeux me font perdre l’équilibre à plusieurs reprises. Mon pas devient extrêmement lent, comme celui d’un survivant perdu au milieu du désert. Le désespoir et la colère commencent à m’envahir…
Je n’ai encore jamais connu cette sensation en course mais je me sens terriblement seul. Jeff m’a lâché et j’ai besoin de lui, j’ai besoin de le voir avancer pour me donnera la force de continuer. Je vais vomir… Je m’arrête, courbé sur mes bâtons. Quel piètre traileur je fais. Je reprends mes esprits et enchaîne quelques pas me donnant le sapin plus haut comme objectif. Génial ! J’arrive à rejoindre mon arbre sans m’arrêter. Maintenant la prochaine étape est le rocher là-bas… Je perds l’équilibre et manque de tomber dans la pente. Je vais m’évanouir… Je me retourne et vois un groupe se rapprocher. Ils ont l’air de souffrir eux aussi. Un air me trotte dans la tête à me rendre dingue. Je pense à mes enfants. Je pense à dormir… Je me rends alors compte que j’ai franchement sommeil. C’est quoi l’étape d’après ? Y’a pire comme déchéance ?
Je peste contre Jeff. Sympa les potes ! On peut compter sur eux dans les moments difficiles paraît-il ? Pas les miens et tout cas… A ce moment je n’ai plus aucun recul sur les événements et considère Jeff comme le seul responsable de mon état, ce qui alimente d’autant plus ma colère. Je me retourne et mon groupe de poursuivants s’est éloigné. Paradoxalement c’est cette colère qui me fait à nouveau avancer. Je ne pense maintenant qu’à une chose : retrouver Jeff au ravito pour le pourrir comme jamais ! Miraculeusement j’avance ! Je ne perçois plus les battements de mon cœur, lui aussi a abdiqué il faut croire… Je ne compte plus les coureurs qui vomissent au bord du sentier. Je leur donne à chacun un petit mot d’encouragement mais aucun son sort de ma bouche… Je n’ai pas le souvenir d’en avoir autant bavé en course et d’avoir grimpé une pente aussi raide. « Le mur » comme l’appelle un coureur local qui m’a dépassé. 1000 mètres de dénivelé sur 3 kilomètres, ça en impose faut dire ! Le lève la tête et enfin la fin du calvaire approche. Je vois une croix une centaine de mètres plus hauts. Normalement les croix sont en haut des pentes, non ?
Fausse alerte, il faut encore grimper. Tant pis, je mettrai tout ça sur le compte de Jeff… Il va prendre cher dès que je vais le retrouver ! Je serre les dents et pousse sur mes bâtons avec le peu d’énergie qu’il me reste. Ils en ont vu ces bâtons depuis 2012, fidèles témoins en première loge de mes sentiments les plus extrêmes. Mon délire intérieur me fait oublier les derniers mètres de pente et me voilà enfin sur une portion plus confortable. Je vois l’arrivée des remontées mécaniques de La Chaux où est situé le dernier ravitaillement. Il est encore loin mais la pente est nettement moins raide, il suffit de mettre un pied devant l’autre maintenant. Mais les vertiges me reprennent et je commence à avoir froid. Ce n’est pas encore complètement gagné… Heureusement, le fantastique public qui est monté à 2200 mètres pour nous supporter me réchauffe le cœur et le corps surtout.
J’entre dans le grand ravitaillement qui est en fait un restaurant d’altitude et aperçois mon Jeff assis sur un tabouret de bar. Je lui jette un regard noir et me défoule copieusement sur son matricule. Un splendide « défoulement avec préméditation » qui me fait le plus grand bien. J’en fais même profiter les bénévoles qui me dévisagent avec un regard gêné. Jeff, qui me connaît bien, a alors la réaction parfaite : il encaisse sans rien dire. Du coup je me calme assez vite. Je m’écarte de la foule pour boire quelques gorgées mais pas moyen d’avaler quoi que ce soit. Je m’assois, mets ma tête entre mes genoux pour faire passer un dernier vertige. Je me lève et préviens Jeff que je vais repartir. Je regrette déjà ce que je lui ai balancé à la figure…
Je retrouve mes esprits quelques minutes plus tard. J’ai terriblement froid et les dents qui claquent. J’enfile un haut à manches longues et une veste en Gore-Tex. Malgré ces deux couches j’ai toujours aussi froid. Je dis à Jeff que je pars, il me suit sans rien dire. Lui aussi commence à être frigorifié. Nous reprenons notre course, il ne nous reste plus que 6 kilomètres, 760 mètres à descendre et moins d’une centaine de mètres à grimper. Nous serons finishers quoiqu’il arrive ! Le soleil décline et bascule de l’autre côté du Mont Blanc tout proche. Le paysage est féerique, le dôme du plus haut sommet d’Europe passe du rose au rouge et bascule dans l’ombre quelques minutes après. Le sentier en balcon au départ de La Chaux est splendide. À notre droite coule un torrent, à notre gauche la vallée plongée dans la pénombre commence à s’éclairer de centaines petites lumières. Plus haut, les sommets alpins se découpent en ombres chinoises. Plus haut encore le ciel nous recouvre d’un dégradé de couleur se terminant à l’aplomb de notre tête en une magnifique voûte étoilée. Je suis apaisé. Jeff s’excuse et moi aussi. Nous amorçons notre dernière descente…
Nous entrons dans une forêt de conifères. Jeff a allumé sa frontale, moi toujours pas. Je retarde ce moment par flemme de la chercher dans mon sac mais j’y vois de moins en moins. Inévitablement je me prends le pied dans une racine et m’étale de tout mon long. Des violentes crampes aux mollets se réveillent. La douleur est intense et m’empêche de me relever. Jeff me soulage en étirant les mollets alors que je suis toujours allongé au sol. Je regrette de ne pas avoir emporté dans mon sac une paire de Booster que je n’utilise d’ailleurs plus depuis bien longtemps. Voilà des années que je n’avais pas souffert de crampes aussi violentes. C’est le signe que j’ai parfaitement raté mon hydratation aujourd’hui et les jours qui ont précédé la course. J’arrive enfin à me redresser et profite de l’arrêt forcé pour allumer ma frontale… Voilà qui est mieux !
Comme lors de la précédente descente, j’arrive à retrouver de l’énergie et peux enfin accélérer. Mais cette fois c’est Jeff qui souffre des genoux. Nous reprenons alors notre petite allure tranquille. Les lumières de la station de Verbier grossissent au fil des lacets. La voix chaude de Ludovic Chollet devient perceptible. Nous passons devant de magnifiques chalets suisses qui s’éclairent sur notre passage. Plus bas nous passons devant une remontée mécanique, le cœur de la station est proche ! Nous allongeons la foulée dans Verbier, les sourires commencent à poindre sur nos visages. La foule s’intensifie à l’approche du centre. Les encouragements et les applaudissements nous font le plus grand bien. Un dernier virage à gauche et nous passons la ligne d’arrivée à 22h42. Echange de bisous, une petite larme de Jeff puis nous posons pour la photo finisher, épuisé mais heureux.

Des bonnes têtes de fatigués…
Nous attendrons la navette qui doit nous ramener à La Fouly au chaud dans un hangar tout proche, allongé dans un petit train qui promène les touristes. Nous partageons nos impressions avec un bénévole de l’organisation. Il est heureux et fier de nous savoir satisfait de cette difficile et mémorable journée. J’ai déjà oublié la souffrance et ne pense désormais qu’à revenir. La navette arrive enfin. Il nous faudra une bonne heure pour rejoindre La Fouly et encore plus d’une heure et demi pour arriver éreinté à Divonne-Les-Bains. Nous serons couchés autour de 3h30… Autant dire que la journée aura été bien chargée. Pas le temps de refaire la course que je suis déjà dans les bras de Morphée. Contre toute attente je passerai une très bonne nuit de sommeil sans aucune douleur musculaire.
C’est en pleine forme que je me réveille le lendemain. Les mollets sont encore douloureux à cause des crampes que j’ai eu quasiment toute la course mais tout le reste va très bien. Même en ayant souffert comme rarement je garde un merveilleux souvenir de cette épreuve. La compétition me manquait, c’est certain, mais aussi et surtout me manquait un bon week-end entre amis. C’est chose faite et même si le résultat est en demi-teinte c’est motivé à fond que je vais poursuivre mon entraînement cet été en montagne pour, je l’espère, performer fin août à l’occasion de l’OCC. Nous sommes très impatients ! Je vous donne rendez-vous dans un peu moins d’un mois…Crédits Photos : PhotosSports et Trail Verbier St-Bernard
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Résumé Trail Verbier St-Bernard – Traversée 2016
Point de passage |
Vitesse |
Class. |
Heure |
Temps |
La Fouly (1596m) |
– km/h |
– |
10:03 |
00:00:00 |
Col Fenêtre (2712m) |
5,77 km/h |
207 |
11:44 |
01:41:28 |
Grand St-Bernard (2455m) |
6,48 km/h |
204 |
12:08 |
02:05:04 |
Bourg St-Pierre (1613m) |
6,61 km/h |
203 |
14:23/14:30 |
04:20:40 |
Col de Mille (2475m) |
4,52 km/h |
193 |
17:11 |
07:08:23 |
Lourtier (1060m) |
6,84 km/h |
196 |
18:57/19:03 |
08:54:56 |
La Chaux (2249m) |
2,88 km/h |
169 |
21:12/21:28 |
11:09:41 |
Verbier (1487m) |
5,21 km/h |
199 |
22:42 |
12:39:05 |
|
|
|
|
|
|
61 km |
4100 D+ |
12:39:05 |
199/649(33 V1M) |
NC |
LA FOULY |
Salut Fred!
Super le récit. ça ressemble au MDM ce qui t’es arrivé… tu sais ce qu’il te reste à faire avant l’OCC= gros blocs en montagne 😉
Tout à fait et c’est prévu ! Deux semaines de Trail et Rando en montagne devrait renforcer ma préparation. D’autant qu’on veut faire l’OCC en mode compet. À suivre…
Il y a de ces courses ou tout est plus dur, ou on se sent mal … Surtout cette course qui a l’air extrêmement dur ! (Finalement ce n’est pas plus mal de ne pas y avoir participé pour ma part, je pense que je me serai cramée pour l’OCC puis je suis encore au Canada). Je ne sais pas ce que c’est que de courir sur de longues distances avec un ami, c’est sur qu’il doit y avoir des moments de tensions mais vous avez du partager de bons moments quand même et tu as l’air d’avoir apprécié les paysages malgré les douleurs. En tout cas, les photos et vidéos sont magnifiques !
Bonne recup à vous deux et j’espère vraiment qu’on se croisera au départ de l’OCC fin août😀
A bientôt
Super récit qui reflète bien la course, j’ai encore l’impression d’y être! Je suis juste arrivé 2 minutes avant vous, on a du se croiser! A bientôt peut être sur l’OCC! Martin Un ptit Belge 😉
Bravo Martin !
On s’est probablement croisé car j’ai vu les mêmes têtes du début à la fin.
C’était ta première aussi ?
Merci pour ton commentaire et peut être à l’année prochaine, à Verbier ou ailleurs.
bravo a vous , ce trail m’interesse de plus en plus , tout le monde n’en dit que du bien . En tous cas votre débriefing est trés plaisant à lire . Cordialement
Si ce trail a été difficile il restera pour moi un des plus beaux. C’est sauvage et montagnard à souhait, surtout dans la première partie.
Merci pour votre passage par ici.
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