3 jours de trekking dans le Luberon (2/3)

Deuxième jour :

C’est autour de 7h que Ricou m’appelle depuis sa tente. Je lui réponds que je suis réveillé depuis très longtemps puisque je n’ai pas dormi. Je n’éprouve pourtant pas de fatigue. En fait d’après ma montre qui calcule le temps de sommeil j’ai cumulé bon an, mal an 3 heures de dodo.

Grand Luberon

Le temps que je sorte de ma tente, Eric a déjà replié la sienne et quasiment terminé son petit déj. Effectivement, je ne suis pas trop du matin… Comme nous le présumions la veille, nos tentes sont pleines de condensation mais le double toit a parfaitement fait son travail.

Parenthèse technique :

Pour ce qui est de nos tentes, nous avons la Nemo Hornet Elite Osmo. Nemo, acronyme de New England Mountain Equipment, est une marque américaine. En plus de porter un bien joli nom, cette tente est vraiment bien conçue. C’est assurément un modèle pour bivouaquer sur Mars. 812 g pour la 1 place (celle de Ricou) et moins de 1 kg pour la 2 places (la mienne). Il existe deux fois plus léger mais aussi deux fois plus chers, comme les tentes en Dyneema de Zpacks par exemple. Le Dyneema est une fibre de polyéthylène ultra résistante. En plus d’être ultra légère, elle a une capacité d’absorption de l’énergie élevée et une très faible élongation. Elle est aussi extrêmement résistante à l’abrasion, à l’humidité, aux rayons UV et aux produits chimiques. Me concernant, ça n’était pas forcement judicieux de dépenser un SMIC pour au final ne pas dormir.

Fin de la parenthèse technique.

Il nous… enfin, il me faudra deux heures pour être prêt à partir. Avant de reprendre notre GR, nous décidons de faire un petit crochet jusqu’au centre de Céreste-en-Luberon, histoire de s’assurer que la civilisation existe encore et surtout goûter quelques viennoiseries locales.

La journée commence comme hier matin sur le bord d’une route à la différence que le paysage est nettement plus verdoyant que celui de la veille. La route monte lentement pour nous mettre tranquillement en jambe. Nous approchons du Prieuré de Carluc, la fameuse chapelle que nous cherchions hier soir… L’endroit est superbe et aurait fait un magnifique spot de bivouac.

Grand Luberon

Le prieuré est constitué d’un ensemble avec une chapelle médiévale entourée d’une nécropole de tombes rupestres, des restes de deux autres églises ruinées, en partie creusées dans le rocher, d’une galerie également creusée dans le roc et présentant aussi des tombes rupestres. Tout cela jouxte une petite falaise, percée de baumes et grottes et au pied de laquelle sort encore l’eau de l’ancienne source qui alimente un petit ruisseau.

Le paragraphe ci-dessus est un copier/coller du site web du Parc Naturel Régional du Luberon. Et c’est probablement ce que Ricou m’aurait raconté la demi-heure suivante s’il avait eu le temps de retenir les informations inscrites sur les panneaux éducatifs qui parsèment le site. Il est comme ça mon Ricou, il aime bien faire le sachant.

Grand LuberonUne fois abreuvé de connaissances historiques, Eric décide enfin de reprendre la marche. Nous empruntons le bien nommé ravin de Carluc, très chouette lui aussi. Nous quittons cet espace boisé et minéral pour traverser d’immenses prairies bordées d’oliviers où sont posées, ci et là, de magnifiques demeures en pierres. Des fleurs de toutes les couleurs viennent magnifier ce paysage que Vincent Van Gogh aurait sûrement immortalisé si son escapade dans le sud de la France n’avait pas été stoppée par son internement à Arles. Tu vois Ricou, je peux aussi faire le malin !

Le large chemin se met à fortement grimper jusqu’à Sainte-Croix-à-Lauze, un superbe petit village perché en haut d’une colline. Le long de l’interminable montée, un groupe de paysans travaillent leur terre. Et qui dit paysans, dit chiens. Heureusement, malgré leurs aboiements menaçants ils ne dépasseront pas la limite de leur champ.

Personne en vue à Sainte-Croix-à-Lauze, pourtant le calme champêtre est troublé par des bruits de tondeuses à gazon. C’est étrange chez l’être humain ce besoin irrépressible de manifester sa présence, si possible avec une extension de son corps qui fait du bruit.

Le village n’est qu’un pallier de notre petite grimpette. Ça monte encore pas mal jusqu’au sommet de la colline. Nous croisons un trekkeur, tout de camouflage vêtu, qui répondra du bout des lèvres à notre « bonjour ». Sa montée lui a probablement coupée l’envie de communiquer où, tout simplement, c’est un étranger qui ne maîtrise pas notre langue.

Grand Luberon

La descente jusqu’à Oppedette est bucolique. Je suis stoppé devant un champ de colza, fasciné par le bourdonnement de milliers d’abeilles en folie. Elles font presque plus de bruits que les fantômes qui passent la tondeuse à Sainte-Croix-à-Lauze ! Pour le coup c’est vraiment un son qui fait plaisir à entendre tant la disparition progressive des abeilles ne fend le cœur.

La fontaine d’Oppedette nous permet de remplir nos gourdes et de s’accorde une petite pause. Un panneau indique que l’eau n’est pas potable, mais Ricou et moi, on s’en fout ! Oui, nous avons des filtres magiques qui permettent de boire notre propre urine. Pour Eric, c’est la gourde filtrante ÖKO et moi, le filtre Mini Sawyer, un accessoire indispensable et ultra léger que j’emporte désormais toujours avec moi lors de mes sorties Trail. Plus besoin de boire dans les flaques d’eau comme j’ai dû déjà le faire.

On est trop content de nous, on craint dégun et sûrement pas une eau de fontaine approximative ! Une fois notre soif étanchée, Ricou éclate de rire : A quelques mètres de la fontaine il découvre et me montre un robinet avec écrit « eau potable ». Punaise ! On est vraiment deux Bear Grylls de Wish TV…

Le GR arpente les rues d’Oppedette avant de surplomber les gorges du même nom. Ce village restera le témoin d’un débat animé entre Ricou et moi. Difficile de le résumer ici en quelques lignes, mais en gros Eric s’agaçait que ce type de villages, qui n’existent que par la présence de touristes étrangers (ou pire… parisiens) tuent la vie rurale et la vie tout court 9 mois de l’année. Mon Ricou a sortie toute l’artillerie lourde pour tenter de me convaincre : arguments fallacieux ou sans rapport avec le sujet, chiffres honteusement bullshités et mauvaise foi de compétition. Rien n’y fera et je resterai sur ma position qui était de dire en gros que « fake is beautifull ».

La nature est belle, la vie rurale doit l’être également ! Pour un esthétisme paysan, une doctrine que j’allais faire mûrir le reste de la journée pour la présenter à Eric avec toute l’emphase qu’elle mérite les derniers kilomètres de notre marche. Nous y reviendrons…

Grand Luberon

Pour l’heure, je laisse Eric parler tout seul et concentre mon regard sur les gorges d’Oppedette qui ressemblent à une réplique miniature de leurs cousines du Verdon. Ça sent bon le buis (mon ami !) et le calcaire chauffé par le soleil. Le sentier est une constellation de lapiaz qui attend la moindre inattention de votre part pour vous broyer une cheville. Nous aurons une pensée émue pour les futurs allemands en tongs, qui après les gorges d’Oppedette, visiteront malgré eux le Centre Hospitalier du Pays d’Apt.

2,5 kilomètres plus tard, soit la longueur des gorges, nous reprenons une route bitumée sans grand intérêt jusqu’à ce qu’elle passe à côté d’une exploitation agricole. Non pas que cette exploitation ait un intérêt, elle était surtout très moche. Mais de son hangar à très loin sur la route on pouvait suivre deux lignes parallèles de boue, comme dans un conte de Perrault des temps modernes où les petits cailloux seraient remplacés par de la terre humide et le Petit Poucet lui-même, par un tracteur.

Au loin, on aperçoit le village perché de Viens… à la maison, y’a le Printemps, qui chante ! (à lire en imitant la voix de Claude François). C’est énervant hein ? C’est cadeau, ne me remerciez pas.

Grand Luberon

Grand Luberon

Grand Luberon

Dire « village perché » est limite un pléonasme tant il est vrai que tous les villages du Luberon sont perchés. La montée jusqu’à ce conglomérat de merveilles architecturales est bien raide. Du coup mon Ricou est redevenu étrangement silencieux. J’accélère le pas pour être le premier à franchir la porte Sarrasine qui marque l’entrée du village. « Pas de garde armé, Ricou ! Tu peux entrer dans la ville et évangéliser de ton saint bullshit les brebis égarées ».

Des villages traversés, je place Viens dans mon top 3. C’est sublime ! On s’arrête boire une bière au Petit Jardin, une mignonette auberge avec une terrasse ombragée dont on aimerait y rester pour l’éternité. Il est 15h30 et deux femmes anglaises, la soixante environ, s’assoient près de nous et commandent à déjeuner. Le patron répond en souriant que le service est terminé depuis un bon moment. Avec un flegme tout britannique, elles commandent alors deux verres de rosés « on ice ».

Voilà une des choses importantes qui nous différencie définitivement des anglois : le respect des heures de repas ! En revanche, ce qui nous rassemble, c’est encore et toujours le pinard. « And grenache for all ! ».

C’est le cœur léger et les gourdes pleines que nous quittons Viens. Nous restons en hauteur un très long moment en suivant une ligne de crètes. Côté sud, on a une vue panoramique sur les villages perchés, dont Caseneuve, avec en arrière-plan l’ensemble du massif du grand Luberon. Au nord, on aperçoit Rustrel et son imposant massif juste derrière appelé « la grande Montagne ». Au détour d’un virage on peut voir à travers les pins maritimes et les châtaigniers le Colorado Provençal.

Ricou ne partage pas ma béatitude devant ce spectacle naturel. Il a les pieds qui commencent à le faire souffrir. Je compatis… On a rarement vu un sourire niais et des pieds en compote marcher ensemble. Son mental en prend un coup dès que le parcours quitte ce paysage idyllique pour emprunter un long chemin interminable à travers champs.

Le GR rejoint la D900 et sa piste cyclable accolée que nous suivrons sur deux ou trois vilains kilomètres. Il est bientôt 19h. Je n’en ai pas encore parlé mais ça doit bien faire une heure qu’on cherche un spot de bivouac, histoire de ne pas se faire piéger comme la veille. Toutefois nous avons préféré continuer, persuader de trouver notre bonheur au fond de la vallée.

Je propose à Eric de se poser sur l’aire de parking d’un étang de pêche à la truite. C’est moche, certes. La Départementale passe quelques mètres, c’est vrai… Mais c’est plat et y’a de l’herbe à profusion. Le problème est que le l’emplacement est privé et il est fort à parier que le propriétaire des lieux, également gérant du restaurant près du lac, manie avec aisance le lancer de couteaux et de casseroles.

Face à l’adversité on excelle dans la fuite. Nous choisissons de continuer en direction de Saignon qu’on aperçoit 300 mètres plus haut depuis notre parking glauque. Aucun bivouac possible le long des deux kilomètres de montée. J’espère qu’Eric aura assez du jus pour arriver jusqu’au village. La fatigue donne l’impression que ses bâtons s’enfoncent dans le sol quand il prend appui dessus. Ce qui est littéralement le cas vu l’humidité de la zone.

Le chemin redevient plus plat à l’approche de Saignon. Le souci est que le moindre centimètre carré de plat est propriété privée. C’est le sentiment général que donne ce beau massif du Luberon : de grands espaces vierges à 360 degrés où tu n’es jamais le bienvenu à moins d’avoir le portefeuille avec une belle épaisseur de billets pour arrêter les balles de chevrotine.

Nous finissons par arriver à Saignon. Pour Ricou c’est plutôt Saïgon… A nouveau je pars en éclaireur pour déjouer les potentiels pièges des autochtones. RAS en tourelle ! J’aperçois un villageois et tente ma technique de la veille, à savoir lui demander où on peut planter sa tente tout en sympathisant dans l’espoir qu’il nous propose de la poser dans son jardin. Ça a presque fonctionné ! Mais il a répondu que finalement on serait mieux plus loin.

On mettra une bonne demi-heure et on grimpera encore une bonne centaine de mètres pour trouver son pseudo bivouac. C’est sûr que son coin est joli et que la vue porte à des kilomètres. Mais c’est un vrai champ de mines, de glands et de bois morts. Impossible d’y poser une tente.

A la nuit tombée on se rabattra par dépit sur un verger isolé de la route pour y planter notre tente. Le spot est plutôt joli mais le sol en revanche est sillonné de tranchées de motoculteur. Mais bon… A la guerre comme à la guerre ! Après Saïgon on devrait survivre aux tranchées de Verdun.

J’exploserai très largement mon record de montagne de tente. Le challenge n’était pas très compliqué vous me direz… Eric va se coucher direct et grignotant deux ou trois graines qu’il lui reste. Moi, plutôt que d’aller « pas dormir », j’ai préféré prendre le temps de savourer un bon lyophilisé devant ma tente en admirant les étoiles. Le pied !

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Bilan de la journée

Distance

Dénivelé

Chrono

Lieu

40 km

1341 D+

10h13

Céreste

Photos : Frédéric Prost

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