Trail Sainte Victoire 2016 : Oh oui, fais-moi mal !

TSV 2016

Affiche TSV 2016

Le réveil me sort péniblement du lit à 4 heures. Habituellement je suis déjà dans l’excitation de la course à venir mais ce matin j’ai l’âme d’un condamné qu’on conduit à l’échafaud. Depuis plus d’un mois j’ai des douleurs récurrentes au dos, cuisses et mollets sans explication logique. Les quelques sorties que j’ai effectué ces dernières semaines ont été pénibles avec la désagréable sensation de me traîner. Bref, je quitte la maison avec la conviction que je ne finirai pas le parcours de ma septième participation au fameux Trail Sainte Victoire.

Arrivé à Rousset, la présence des amis me réchauffe le cœur. Chacun échange sur sa forme du moment et son calendrier de l’année. Je récupère tardivement mon dossard alors que toutes les autres années je venais le récupérer la veille… Au moment du départ je me cale en fin de peloton… Ce sont des signes qui ne trompent pas, inconsciemment je refuse la course.

Les premiers mètres sur le bitume confirme mes mauvaises sensations des dernières sorties. Le ciel est chargé, la pluie menace. Le sommet de la montagne Sainte Victoire est masqué sous d’épais nuages. Le décor parfait de mes états d’âme. Positionné en queue de peloton je patiente calmement (ça ne me ressemble pas) lors des interminables bouchons générés par le premier single. Passé le moulin nous pouvons enfin accélérer mais je n’arrive pas à augmenter l’allure. J’ai tellement peur de me faire mal que je me freine inconsciemment.

TSV 2016

Je relativise me disant que ce départ prudent forcé sera bénéfique pour la deuxième partie de la course. La montée au plateau du Cengle est négociée sans trop de difficulté. En effet j’ai à ce moment l’esprit occupé à discuter avec un coureur londonien. Il me confie s’être inspiré de mes nombreux récits du TSV pour préparer sa course. Ça me fait évidemment très plaisir. Je suis, sans fausse modestie, toujours surpris de constater la portée de mon blog. À croire que mon modeste niveau et ma petite expérience permet à d’autres coureurs d’y trouver des informations utiles. En tout cas ces retours positifs me donnent la force de continuer à écrire. Espérons qu’aujourd’hui les coureurs, les bénévoles ou le splendide décor de la Sainte Victoire me donneront envie de continuer ma course.

Le ravitaillement de Saint Antonin est rejoint en 1h13 soit 7 minutes de plus que l’année passée. Je ne m’arrête pas car j’ai assez d’eau pour rejoindre Vauvenargues. Nous sommes désormais sur le massif et les hostilités commencent vraiment. La montée jusqu’au pas du Berger se passe plutôt bien. Certes, j’ai toujours ma douleur lancinante dans le dos et la sensation d’avoir de l’acide qui circule dans les ischios mais comme c’est permanent je n’y fais pas trop attention. Par contre ça me coupe totalement le plaisir et entame mon mental. Les ressources mobilisées pour trouver des raisons de continuer commencent à générer de la fatigue.

TSV 2016

La descente vers Vauvenargues par l’affreux Sentier des Venturiers se fait avec prudence. Ce large sentier a totalement été refait dernièrement pour permettre aux 4×4 de monter jusqu’à une centaine de mètres sous le Prieuré. Du coup le chemin est totalement dépourvu de pierres rendant la descente plus roulante mais aussi et surtout plus insipide que jamais. Dire qu’à quelques mètres à droite passe le splendide et méconnu single des Intimistes… Le seul plaisir de la descente sera de croiser Richard et Domnin venus pour nous encourager et même le bras en écharpe Riri garde la pêche et sa bonne humeur habituelle. Un modèle à suivre.

Un bref retour au (faux) plat nous permet de rejoindre Vauvenargues et le second ravitaillement. La pause est courte mais bénéfique. Le soleil que nous n’avons pas aujourd’hui est dans les yeux des bénévoles, toujours au petits soins pour nous les coureurs. Dans l’équipe est présent Christophe avec qui je discute quelques minutes puis je repars. On peut dire ce qu’on veut mais la présence des amis dans les moments (physiquement) difficiles fait toujours du bien. C’est donc avec un supplément d’énergie que je quitte ce havre de douceur.

TSV 2016

A l’approche de la montée des Plaideurs je sens à nouveau mon corps me lâcher. Depuis Vauvenargues j’étais finalement sur batterie de secours… Les douleurs me reprennent de façon plus intense, des cohortes de coureurs commencent à me doubler. Le moral, déjà en piteux état,  en prend un méchant coup. Pourquoi s’infliger ça ? Malgré tout la montée des Plaideurs se négocie mieux que prévu. Je m’accorderai même le luxe de doubler une dizaine de traileurs. Mais à quel prix ? La traversée des crêtes pour rejoindre le Pic des Mouches sera mon chemin de croix…

Sur les crêtes noyées dans la brume le vent est extrêmement violent. J’ai même du mal à garder l’équilibre. Rajouter à ça l’humidité qui rend la roche glissante et le spectacle que j’offre devient pathétique. Avec mes jambes en bois je ressemble à un gamin de deux ans qui monte sur un Zodiac un jour de tempête. D’autant que je ne suis pas aidé par mes Saucony Xodus 5.0 qui sont de très bonnes chaussures pour tout, sauf la roche mouillée… Je passerai la traversée à me traiter de tous les noms et la descente qui succède le Pic des Mouche sera autant pitoyable.

La descente vers Puyloubier est le clou de ce spectacle de marionnettes. Heureusement qu’aucune caméra n’a filmé cet instant car je serai déjà planqué au fond d’une grotte, loin de tout miroir jusqu’à la fin de ma vie. S’il y a bien quelque chose d’harmonieux et de synchronisé à ce moment ce sont la colère et la honte qui m’assaillent. C’en est trop, j’arrête le massacre à Puyloubier !

La descente est interminable. Le gamin de deux ans que je suis quitte son bateau pour descendre des escaliers. Ça pourrait être risible si je n’avais pas aussi mal. J’imagine à chaque mouvement mon dos se bloquer, paralysé par un lumbago foudroyant. Les cuisses me brûlent, je n’ai plus aucune sensation du terrain, j’ai l’impression de courir sur rien. Je suis dépité, frustré, d’autant que le cœur, lui, se porte à merveille. Il gère l’effort aussi bien qu’une sieste l’été au bord d’une piscine. il faut dire qu’avec toutes les sorties vélos que je me suis envoyé ces derniers temps, c’est pas l’allure d’aujourd’hui qui risque de le fatiguer…

TSV 2016

Enfin du monde et du bruit à Puyloubier qui m’aident à m’oublier un peu. Ça me met du baume au cœur certes, mais du baume miraculeux pour mon dos et mes cuisses serait l’idéal. Dans ma tête la course est terminée mais cette hypothèse ne me ravis pas. Très rapidement des images me viennent en tête. Un premier lot d’images qui touche les émotions : ma famille, mes amis, les copains coureurs… Qu’est-ce qu’ils vont penser ? Un second lot qui titille la raison : mieux vaut abandonner ou finir sachant que la douleur sera présente dans les deux cas ? La réponse est évidente… L’organisation confirme le parcours de repli qui évitera le retour par la pénible crête. Ce changement de programme ajouté au dialogue intérieur décrit précédemment suffit à rallumer l’étincelle. Est-ce qu’une étincelle suffira à rallumer du bois mouillé ? Je me donne encore quelques heures pour y répondre. Je rempli mes gourdes et repart la tête basse.

Au pire il sera toujours temps de m’arrêter à Saint Antonin… C’est la seule phrase réconfortante que je trouve à me répéter en boucle sur la longue portion qui rejoint le refuge de Baudino. Pour vous dire le niveau du réconfort… Je suis cette fois dans le dur. Physiquement je subis la course depuis la première seconde. Mais comme dans tout bon film dramatique le héros ne souffre jamais assez. C’est au tour d’un mental en décomposition d’entrée en scène et de prendre le premier rôle. Un nouveau TGV de coureurs me dépasse à grande vitesse. Puis un autre quelques minutes après… Et encore un autre… Je m’arrête machinalement pour les laissez passer, spectateur bovin  d’une course trop dure pour moi. J’ai l’impression de revivre mes premières courses ou l’inexpérience me rendait agonisant passée la mi-course. Ce n’est plus un Trail c’est un voyage initiatique où je vais probablement trouver des réponses. J’espère la providence !

Arrivant à Baudino j’ai une pensée presque émue envers moi-même où deux ans auparavant j’étais à deux doigts de tourner de l’œil (cf. Trail Sainte Victoire 2014). À croire que le TSV est un éternel recommencement. Les paroles bienveillantes de Laurent, mon ami grimpeur, que je croise à ce moment me font l’effet d’un défibrillateur soit l’impression de revenir d’entre les morts. Ce que je suis en train de réaliser l’impressionne… Vraiment ? M’en convaincre suffit pour réaliser les cinq foulées suivantes sans un rictus de douleur. Merci Lolo !

Le retour par la face sud jusqu’à Saint Antonin ne reste qu’un vague souvenir. Rien de précis, ni de bons ni de mauvais. La même acuité mentale qu’un ivrogne qui rentre chez lui à 5 heures du matin… J’avance (lentement), c’est tout… La nature est belle mais cruelle. Elle ne veut pas de moi aujourd’hui. Je fais tâche dans ce paysage de carte postale. En fin de compte ce n’est pas que les A.I.L Rousset (l’équipe organisatrice du TSV) qui décide du nombre de participants, c’est aussi la nature. Si seulement il pouvait tomber des cordes après mon passage afin de nettoyer ma vilaine trace. Je ne vaux pas mieux que ce tube de gel abandonné par un coureur indélicat (mais néanmoins plus rapide).

TSV 2016

Dans les belles histoires les héros déchus finissent toujours par être sauvé. Ce fut mon cas… Mon sauveur n’est pas Dieu (ou la divinité de votre choix) mais Vincent Chautard, un coureur de la région habitué aux podiums. Je le rattrape alors qu’il marche tranquillement, ses bâtons à la main. Tout juste s’il n’est pas en train de siffloter. En tout cas il est heureux et savoure l’instant. Je lui demande ce qu’il fait là, si loin de la tête de course. Il me répond qu’il est convalescent, que sa blessure lui fait un peu mal et qu’il préfère gérer tranquillement le retour à Rousset. Mais oui punaise ! C’est lui qui a raison ! À quoi bon s’obstiner contre le sort, de se lamenter sur son état et mal vivre une situation qui était inévitable et écrite dès le départ… Sans le savoir Vincent m’a donné une leçon d’humilité. Il m’a rappelé l’essentiel, à savoir profiter de l’instant présent et accepter positivement les obstacles que la vie dresse en travers de notre route. C’est le chemin qui compte comme on a souvent l’habitude de dire dans le monde du Trail Running.

TSV 2016

Quand je vous dis que je souffre !

TSV 2016

À partir de ce moment ma course a basculé. Les 15 derniers kilomètres ont été physiquement éprouvants certes mais mon esprit s’est libéré d’un poids, celui de la performance. Enfin disons plutôt que la performance a subitement changé de consistance. La performance n’était plus le chrono et le classement mais simplement rejoindre l’arrivée. Ma colère et ma honte sont devenus plénitude et fierté. La Sainte Victoire m’a joué un drôle de tour cette année mais elle m’a enseigné  un premier niveau de sagesse, elle m’a infligé une correction qui fait mal à l’ego. Je le vis au moment où j’écris ces lignes comme une expérience supplémentaire dans ma vie de traileur qui me rendra plus fort.

Dossard TSV 2016

Crédits Photos : PixelbikeAntoine Martin-Chave & PhotosSports

Voir la trace GPS sur Movescount

Résumé Trail Sainte Victoire 2016

Distance

Dénivelé

Chrono

Classement

FC Moyenne

Lieu

52 km

2900 D+

7:58:57

131/331

(51 V1M)

NC

Rousset

13 réflexions au sujet de « Trail Sainte Victoire 2016 : Oh oui, fais-moi mal ! »

  1. Bravo Fred pour ton courage ! j’espère que tu vas guérir de ces douleurs, il faut quand même en trouver la cause… En tout cas, ce compte-rendu est une fois de plus très réussi, avec une intensité dramatique en crescendo… jusqu’à la « happy end » finale. Un bon scénario bien qu’involontaire…
    A bientôt !

    • Merci Thierry !
      A se demander si je ne le fais pas exprès pour avoir une belle histoire à raconter… En tout cas c’est une drôle de sensation de partir sur une course en se demandant tout le long si on va terminer. Ça me renvoi à mon premier TSV en 2010 pour le coup.

  2. Je crois que tout trailer avec un peu de bouteille se reconnaîtra dans ce magnifique récit. Ce type de (mé) z’aventure fait parti du jeu…. Pour ma part, j’ai eu mon premier lumbago 3 semaines avant la course, un vrai calvaire…. On parle comme des vieux non???? Bravo pour ta persévérance, terminer est ce qu’il faut retenir!

    • La nouveauté pour moi est que ça a été du début à la fin. Et se demander si on va pouvoir terminer nous rend humble comme un débutant. Finalement ça ne fait pas de mal de se remettre en mémoire que rien n’est jamais acquis.
      Ca m’a fait plaisir de faire un tout petit bout de course avec toi Raph !

  3. Un très beau récit d’aventure, d’homme et de nature. Il faut parfois juste faire les choses … et Juste les faire c’est déjà très bien et c’est déjà une victoire. Merci Fred, j’ai fait la course à travers tes yeux, et j’espère l’année prochaine la faire dans tes traces.

    • Merci Laurent.
      Allez, on se lance le défi ! L’année prochaine tu termines le TSV.
      Je peux t’assurer que tu passeras un moment qui restera très longtemps gravé dans ta mémoire et que tu y penseras avec fierté tous les soirs quand tu rentreras du travail en passant à côté.

  4. Bravo Fred, très beau récit,quel style!
    Tu fais vraiment passer tes émotions à travers ce récit,et tu en tires une belle leçon, c’est donc une expérience positive finalement!
    Je te souhaite quand même que tes prochaines courses se passent mieux…
    A bientôt j’espère

    • C’est sympa Chris, merci.
      Comme tous les ans, tu restes fidèle au poste. Je me fais la promesse d’y participer un jour en tant que bénévole. avec tout le plaisir que vous nous donnez (même si cette année le plaisir a tarder à venir…) je vous dois bien ça !

  5. Bonjour,

    Je lis avec « plaisir » ton récap car je suis parti avec les deux chevilles en vrac dans le même état d’esprit.
    Bravo pour ta course.

    Pour ma part abandon à Puyloubier car douleur trop intense.

    Lionel

    • Quand le corps ne veut pas…
      C’était ta première participation ou bien tu as déjà bouclé le parcours ?
      J’espère que tu prendras ta revanche l’année prochaine.

  6. Merci pour ce récit plein d’humour et d’humilité, de sens dramatique et de sens tout court ! Modeste traileur court sur le challenge, je rêve d’être un jour au départ (nouvelles conditions d’inscription oblige) et pqoi pas finisher du TSV ; alors, en-dessous des 8h00, même pour raisons « médicales » ?!? Youpi, j’aimerai être physiquement et mentalement diminué à ce point-là :-))))

    • Même au bout de 7 fois, terminer le TSV est toujours une grande fierté tant cette course est exigeante mais elle n’est pas insurmontable pour autant. Il faut l’appréhender avec beaucoup d’humilité, être patient et s’être préparé à connaître des moments difficiles, physiquement et psychologiquement. Et surtout se dire qu’on va vivre une expérience exceptionnelle dont le souvenir restera gravé toute sa vie.
      Merci pour ton passage et ton commentaire. À ta dispo pour te conseiller dès que tu te sens de tenter l’aventure.

  7. Ping : Bilan 2016 | Highway To Trail

Laisser un commentaire